28/05/09 Fric-Frac Club


Le questionnaire du FFC: Robert Juan-Cantavella

par François Monti

Né à Almassora en 1976, Robert Juan-Cantavella fait partie des écrivains qui sont en train de faire bouger la littérature espagnole contemporaine. Il a publié Proust Fiction, recueil de nouvelles salué par Julián Ríos et Juan Goytisolo, ainsi que deux romans, Otro et El Dorado. Il a aussi été responsable de Lateral, excellente revue culturelle barcelonaise et a récemment traduit en castillan Zone, de Mathias Enard. Il existe actuellement des projets de publication française de Proust Fiction et El Dorado. Ces deux titres ont été évoqués en détail sur Tabula Rasa.


Que ferez-vous lorsque plus personne ne lira de livres ?
On ne peut pas dire qu'il y ait beaucoup de gens qui lisent mes bouquins, je ne crois pas que ça changerait beaucoup de choses pour moi. De toute façon, je pourrai faire quelque chose d'autre, je ne suis pas prédestiné à la littérature ou quelque chose du genre.


Le premier souvenir (ou émotion) littéraire ?
La première lecture dont je me souviens, c'est les BD de Mortadelo y Filemón et des romans abrégés pour enfants, comme Robinson Crusoe ou Dr. Jekyll y Mr Hide, il y avait des illustrations au début de chaque chapitre. Une des émotions dont je me souviens avec le plus d'affection, c'est le rire, le rire que me causa la lecture des Exercices de style de Queneau: j'étais en train de le lire assis sur le lit et j'ai dû me lever pour fermer la fenêtre, au cas où quelqu'un de l'appartement d'en face me voyait rigoler ainsi, un livre et la main, et pensait que j'étais fou.

Que lisez-vous en ce moment ?
Puente de Alma, de Julián Ríos, Bastard Battle, de Céline Minard (par ta faute) et Dinero, une BD de Miguel Brieva.

Quels sont les auteurs que vous avez honte de n'avoir jamais lu? Avez-vous réellement lu A la recherche du temps perdu en entier?
Non, je n’ai pas lu A la recherche… en entier, mais bien les trois premières et la dernière partie (c’est de celle-là que parle Proust Fiction, de la dernière partie, dans laquelle il y a une théorie de l’art très intéressante, tirée des Allemands). Et l’auteur que j'ai honte de n'avoir jamais lu est Henry Miller, j’ai lu le début de je ne sais plus quel livre et ça m'a fasciné, mais je ne sais pas pour quelle raison, je me suis arrêté et je ne l’ai jamais repris. Peut-être vais-je le reprendre maintenant.

Suggérez-moi la lecture d'un livre dont je n'ai probablement jamais entendu parler.
Asesino Cósmico, de Curtis Garland. C'est un des pseudonymes de Juan Gallardo Muñoz (Barcelone, 1929; d'autres sont Johnny Garland, Addison Starr, Donald Curtis, Kent Davis, Don Harris, Glenn Forrester ou Elliot Turner). Depuis la fin des années '50, il a écrit plus de 2000 romans: de terreur, de science-fiction (appelés “de l'espace”), de détectives, de l'ouest (western). On les vendait dans les kiosques à 5 ou 10 pesetas (à peu près 5 centimes d'euro). Ce type d'auteur écrivait deux ou trois romans par mois, parfois plus, et les maisons d'édition les obligeaient à adopter des pseudonymes, normalement anglo-saxons, pour des questions d'ordre commercial.
        Parmi les compagnons de voyage de Curtis Garland, on trouve Joseph Berna, Ralph Barby, Lou Carrigan, Marcial Lafuente Estefanía ou Corín Tellado (tous des pseudonymes). Les deux derniers (se consacrant principalement aux romans “de l'ouest” et “romantiques”, respectivement) sont ceux qui obtinrent le plus grand succès, et les meilleurs conditions économiques de la part de leurs éditeurs (il s'agissait essentiellement d'un seul: Bruguera), dans des temps aux pratiques éditoriales absolument léonines. Il s'agit de romans courts, et d'un genre qu'avec les années, l'influence nord-américaine et en se fixant principalement sur sa forme de distribution et de commercialisation, on a appelé “pulp”, ignorant les différences de genre. Le grand Kurt Vonnegut a un personnage qui s'appelle Kilgore Trout, à travers lequel il parle de façon hyperbolique de ce type d'écrivain. On publiait les romans de Kilgore Trout dans des revues porno (alors que ses écrits ne le sont pas), mais on ne l'informait jamais ni de quand ils allaient paraître ni dans quelles revues, ce qui forçait le pauvre homme à aller à la recherche de ses textes dans des lieux très sordides. Ce n'est pas le cas de ces auteurs, qui étaient déjà reconnus en leur temps d’un point de vue populaire, et publiés dans de vrais volumes. Mais je sais, par exemple, que Juan Gallardo Muñoz ne conserve que 20 de ses romans, plus ou moins ceux que j'ai moi aussi, achetés entre 1 et 3 euros au Mercat de Sant Antoni, un délicieux marché de livres anciens qui a lieu les dimanche matin à Barcelone. Curtis Garland est un des classiques du genre, et de cette époque sauvage, qui en Espagne a aussi son équivalent dans le monde de la BD (également chez Bruguera) et dans le cinéma, avec un réalisateur comme Jess Franco (célèbre pour les films dans lesquels il mêle terreur et porno) qui dût, aussi bien à cause du porno que de sa vision joueuse de la terreur, travailler en dehors d'Espagne, alors sous la dictature franquiste. Asesino Cósmico raconte l'histoire d'un extra-terrestre malveillant nommé Ukk qui arrive sur terre dans sa soucoupe volante avec l'intention de détruire la planète.

Le livre que vous avez lu et que vous auriez aimé écrire ?
La vie, mode d'emploi, de Georges Perec. Il me fascine parce que s'y conjuguent deux éléments que je n'avais jamais vus conciliés en un seul livre. Un formalisme extrême, qui est un élément qui, à l'époque comme aujourd'hui, m'intéresse beaucoup, avec une grande puissance littéraire. Normalement, les livres que j'avais lu jusque là et qui avaient un degré si grand de formalisme, de jeu structurel, ne me satisfaisaient pas tellement au niveau du récit, de la prose, de ce qui a à voir avec l(es)' histoire(s). Perec, lui, y parvient, tout comme je pense que La maison de feuilles de Mark Z. Danielewski y parvient aussi, dans une autre mesure.

Dans votre parcours de lecteur, quel livre vous semble avoir été ou être encore le plus surestimé par les critiques et les lecteurs ?
Je ne sais pas. Je trouve cette question très difficile. Je ne suis pas un assez bon lecteur, ni assez audacieux, je tente d'y répondre et j'ai mal à la tête.

Quel est le plus mauvais livre que vous ayez lu ?
La majorité des livres que je commence, je ne les termine pas. Quand un livre ne me plaît pas, je l'abandonne. Le champion des mauvais doit être dans le tas. Mais d'un autre côté, j'ai travaillé comme lecteur éditorial et comme critique, et là aussi j'ai dû lire un paquet d'ordure, mais je vais suivre un code déontologique dont je sais qu'en réalité il n'existe pas pour n'en nommer aucun.

Quel est le livre qui vous semble avoir été le mieux adapté au cinéma ?
King Lear - Shakespeare / Ran - Kurosawa.

Écrivez-vous dans le silence ou en musique ?
En musique.

Qui est votre premier lecteur ?
J’en ai trois, Óscar Gual, Aina Mercader et Anna Juan Cantavella, toute une équipe.

Quelle est votre passion cachée ?
Durant l'été 2007, j'ai examiné des vieux numéros de la revue Hola, la revue sentimentale la plus “madame” et le plus conservatrice d'Espagne, et la source la plus autorisée que je connaisse pour s'informer des mariages, des baptèmes et des communions de familles royales européennes en temps réel. A l'époque, je l'ai fait pour me documenter pour mon roman El Dorado, mais j'ai gardé un certain goût pour elle, et je ne la lis plus seulement quand je vais chez le dentiste.

Qu'est-ce que vous n'avez jamais osé faire et que vous aimeriez faire ?
Gagner à la loterie.